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Six mois avant

Littérature à partager

1

Juillet

Adam Scott se redressa brutalement. Il attrapa ses chevilles avec ses mains humides. Dehors, le tonnerre grondait. La pluie tambourinait sur les vasistas. Le drap de dessus traînait en boule sur une bergère chinée au marché Malassis. La journée avait été tellement chaude qu'une douche glacée n'avait pas suffi à rafraîchir Adam. Anna avait refusé ses avances quand il s'était allongé près d'elle. La jeune femme avait repoussé la main qui voulait explorer son corps, se retournant avec un grognement las. Adam n'avait pas insisté.

Depuis leur arrivée en France, cinq mois plus tôt, au cœur de l'hiver, les jeunes mariés n'avaient jamais retrouvé le feu qui embrasait leurs ébats dans leur maison du Maine. L'océan leur manquait, le chant des vagues et des goélands, le sillage des vieux gréements. Ici, tout était gris jour après jour, loin des couleurs chatoyantes qui habillaient l'automne des forêts d'Amérique. Et ce bruit incessant qui enveloppait la ville comme le smog de juillet. Ils n'avaient pas eu le choix. Une mutation à Paris ne se refusait pas.

Adam était trempé de la tête aux pieds. Il passa les doigts sur son front. Sa température lui parut normale. Le drap de dessous était mouillé pourtant, il ne rêvait pas. Poisseux même. C'est alors seulement qu'il fut submergé par l'odeur infecte qui rendait irrespirable l'air de la chambre. Un mélange d'excréments et de vomi. Adam tendit le bras pour sentir le corps de sa femme. Sa main rencontra une peau glacée. Anna n'émettait pas les respirations saccadées du dormeur inquiet. Anna ne réagit pas à la pression insistante de son mari. Anna ne se retourna pas en maugréant quand il la secoua plus énergiquement. Anna était morte.

Pris de panique, Adam mit plus d'une minute à trouver l'interrupteur de la lampe de chevet. Il pleurait et gémissait, certain d'éclairer une scène désolante. La lumière ne lui accorda aucun espoir. Anna était allongée sur le dos, raide, la bouche ouverte remplie du repas du soir et d'un mélange de bile et de sang. Le lit était maculé d'une urine rosée. Elle avait dû mourir par étouffement ou d'une hémorragie interne. Adam n'avait rien entendu. Elle lui reprochait souvent la lourdeur de son sommeil. Il lui suffisait de s'étendre quelques minutes pour sombrer. Il ne se réveillait souvent qu'une douzaine d'heures plus tard, et aucun bruit, pas même le crépitement d'un marteau-piqueur en bas de l'immeuble, ne pouvait interrompre son cycle.

Il était au-delà du dégoût, perdu dans son chagrin. Il se blottit tendrement contre elle en caressant ses seins durcis. Il s'abandonna ainsi aux larmes jusqu'au petit matin, retraçant leur vie commune dans le brouillard de sa détresse. Il se leva enfin, après avoir embrassé et fermé les yeux d'Anna. Il la recouvrit du drap posé sur le fauteuil. Il entra dans la douche, se savonna avec frénésie, se sécha à peine et enfila des vêtements froissés, qui attendaient un coup de fer dans la panière à linge. Il passa dans le bureau pour prendre son téléphone portable. Dans le répertoire, il sélectionna le numéro privé de leur ami Mark, le médecin-chef de l'ambassade. Au bout d'une dizaine de sonneries, le Docteur Miller fit entendre sa voix de basse.

« Miller, j'écoute.

– Mark, c'est moi, Adam.

– Salut Adam. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu as l'air étrange.

– C'est Anna.

– Elle est malade ?

– Non, Mark. Elle est...

– Elle est partie ?

– Non. Elle est morte.

– Morte !

– Cette nuit. Dans son sommeil.

– Un arrêt cardiaque ?

– Non, tu verras. C'est horrible.

– Dis-moi, c'est important. Adam, c'est important. Adam ? Tu es là ?

– Je ne sais plus ce qui est important.

– Je t'en prie Adam. Fais-moi confiance. C'est important.

– Elle a vomi, du sang. Elle a uriné partout. Il y avait du sang aussi.

– Dans ses urines ?

– Oui.

– Rien d'autre ?

– C'est ma femme, Mark. Je ne suis pas un putain de légiste.

– Excuse-moi, Adam. Ne bouge pas. N'appelle personne d'autre. Tu ne l'as pas déjà fait ?

– Non.

– Bien. J'amène une ambulance. Une équipe s'occupera de l'appartement. Ce soir, tu dors à l'ambassade.

– Que se passe-t-il Mark ?

– Rien. Procédure de routine. Tu vas tenir le choc. Je suis là pour t'aider. Prends deux comprimés de Relaxène et allonge-toi sur le sol. On arrive.

– Je suis calme Mark. Vide.

– Fais ce que je te dis. C'est un ordre. à tout de suite. »

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